Un sujet abordé sur un forum m'a donné envie d'écrire sur ce sujet probablement encore plus tabou aujourd'hui: la place du papa dans la fausse couche et les essais qui s'ensuivent. Je me suis aperçue que le vécu de mon couple se retrouve chez beaucoup d'autres et il m'a donc semblé judicieux d'en parler ici.
Evidemment, on ne trouvera là que mon humble point de vue féminin, un parmi tant d'autres, mais si ça peut répondre à certaines interrogations, ce sera déjà ça.
Lors de ma première fausse couche, notre couple a souffert. Alors qu'il s'était très vite investi dans ma grossesse, que c'était lui qui refusait de baisser les bras devant les résultats inquiétants, il s'est avéré qu'après le verdict, il m'a semblé indifférent. Il ne m'a pas bousculée, rien dit de particulier mais il avait l'air de prendre cela avec un détachement surhumain pour un futur papa si heureux quelques jours plus tôt. J'ai serré les dents, pleuré en cachette et espéré vite oublier cette mésaventure. C'est un leurre, le deuil prend des mois, et on n'oublie jamais. Je suis marquée à jamais, voire même traumatisée d'une certaine manière, la politique de l'autruche est impensable pour moi.
Après trois semaines environ, et un climat tendu entre nous deux, une dispute a éclaté. Je ne me souviens plus du sujet, cela n'avait rien à voir. Cependant on se dispute très rarement, on vit en harmonie l'un avec l'autre, on compte en un an nos disputes sur les doigts de la main. Celle-là n'était que le témoin audible d'un malheur partagé mais muettement. Alors j'ai éclaté en sanglots, devant lui pour le coup et c'est sorti. Je lui ai reproché son indifférence, lui ai demandé comment il faisait parce que j'enviais son détachement, alors que moi je vivais avec ce bébé fantôme dans mes tripes au quotidien. Tout est sorti, entre des flots de larmes. Je lui ai fait comprendre que je commençais à me demander si dans l'histoire, on n'avait perdu "que" notre bébé. Alors enfin il s'est révélé. Enfin il a sorti ce qu'il taisait aussi. En bon homme, il s'était fait le devoir d'être fort. Selon lui, je souffrais bien plus que lui, il devait donc être fort pour moi. Et pour beaucoup de ces messieurs, la force se manifeste par une apparente indifférence. Le fait est qu'il souffrait autant que moi, cela ne fait aucun doute. Mais il avait opté pour le silence afin de m'épargner, de m'aider à remonter la pente, ce qui a eu finalement l'effet totalement opposé. Une fois que l'abcès a été percé, nous avons compris que pour nous en remettre, il fallait qu'on se serre les coudes et que pour cela, c'est le dialogue la seule pommade efficace.
Lors de ma seconde fausse couche, je ne lui ai rien caché de mon chagrin et ma révolte. J'ai pleuré devant lui, il m'a prise dans ses bras, m'a dit comme lui aussi était affligé, mais qu'il ne perdait pas une miette de son espoir et de sa volonté. J'ai eu des "rechutes", des passages où c'est dur, où je pleure à nouveau, et je n'ai même plus vraiment la force de tous les lui épargner et il comprend, il me fait part de ses questions, de ses angoisses à lui aussi. Parce que nos bébés, nous les avons faits et perdus à deux, que la souffrance est à deux, que l'avenir se construit encore à deux. Alors cette nouvelle fausse couche, bien qu'un bon coup de massue et une multiplication par mille de ma fragilité intérieure, elle n'a rien changé à notre couple. Je me demande même si elle ne nous a pas soudés encore davantage.
Par ce témoignage, ce que je cherche à dire, c'est qu'on a beau vivre cela chacun et chacune à sa manière, le silence n'est (je le pense sincèrement) jamais la bonne solution. Même dans le cas d'une grossesse non désirée, je suis certaine qu'aucun homme n'est réellement indifférent. Même s'ils n'en vivent pas la partie physique, eux aussi perdent leur bébé. Et voient leur femme au plus mal, tout en se sachant concrètement impuissants face à ce malheur. D'où l'importance du dialogue. Ces messieurs ont du mal à comprendre que montrer leurs sentiments, à fortiori leur souffrance, ne feront pas d'eux de faibles créatures mais au contraire simplement des individus humains et investis dans cette quête de la paternité! Je pense qu'il est aussi à nous de non seulement nous autoriser nous-même à morfler, à avoir besoin de temps et de soutien pour s'en remettre mais aussi d'en parler avec le papa, de l'encourager à exposer leur ressenti, leurs questions.
De plus, n'oublions pas que la fausse couche peut être un hasard, mais aussi un souci chez la maman ou encore un souci chez le papa. Les fausses couches laissent planer cette question terrible: suis-je capable de donner la vie? C'est très dur pour nous, ça l'est autant pour eux, voire plus. Ils y tiennent, à leur virilité ces messieurs, et la fertilité en est au centre. C'est ce noyau de leur identité masculine, ce secret bien caché, leur fierté au premier cri de leur bébé. Que pense un homme dont chaque début de vie se termine brutalement? Evidemment qu'ils s'en posent des questions, et elles font peur, ces questions...
Je finirai cet article en remerciant de tout coeur celles dont je reçois en privé des compliments et soutiens concernant ce blog. Ma plume n'a pas la prétention d'être extraordinaire, seulement authentique, afin de lever ce tabou qui n'a pas lieu d'être. Me sentir comprise et encouragée me fait du bien, car mon estime de moi-même en a aussi pris un coup, dans tout ça, et de base déjà elle n'a jamais volé bien haut.
Petit proverbe aux couples en deuil: Une joie partagée est une double joie, un chagrin partagé est un demi-chagrin.